Article du carnet de bord

Nuit de Chine

Vu du Bund

Fin février à Shanghai, l’année de la chèvre commençait sous la pluie ! Et début mars, lorsque les Ailes ont quitté la Chine, le soleil pointait un petit bout de nez… Pas grave, pourrait-on dire, pour visiter une biennale, le temps ne fait rien à l’affaire ; sauf qu’en l’occurrence, la ville de Shanghai a beaucoup plus impressionné nos amateurs ailés que la biennale.

Bien que chacun ait récupéré un maximum d’informations avant de partir (merci à Mme Yu et aux amis de Anne), les premiers jours ont été consacrés à une familiarisation avec l’Asie, les habitudes et les comportements des chinois ; heureusement, Axelle, ancienne étudiante poitevine, est gentiment venue nous chercher à l’aéroport et nous a conduits jusqu’à notre hôtel sans encombres ! Sinon, pas facile de communiquer, dans la vie quotidienne il y a encore peu de chinois qui comprennent quelques mots d’anglais, faut-il en déduire comme Jean-Michel Carré* que bientôt le monde entier parlera chinois ?
 

Pas facile de se repérer dans une ville toujours en mouvement : même en vérifiant les informations, le restaurant qu’on a enfin trouvé est fermé lorsqu’on arrive, la galerie a déménagé, les portes du musée sont closes, ou les horaires ont été modifiés… Et pas facile de se déplacer dans une agglomération de plus de 6000km², où jaillissent du limon gratte-ciel, centres commerciaux ultra chics et où avance à coups de sifflets une foule compacte, docile, jeune....Vous avez dit 1 milliard et demi dont 25 millions pour Shanghai !!!! N'y avait-il pas de quoi perdre la tête et être bluffé!!!.

 

Les Ailes du désir se sont quand même retrouvés à Power Station of Art, une usine électrique reconvertie en centre d’art où se déroulait l’essentiel de la Biennale : un lieu à la mesure de la Chine tant par les dimensions que par la mise en œuvre de l’exposition. Une présentation « rigoureuse, sérieuse limite austère » selon la critique du Monde, et la découverte d’artistes souvent asiatiques que nous ne connaissions guère malgré la place faite à la Chine dans les institutions internationales (FIAC, Art-Paris, Biennale de Venise…).

 

Si la critique du Monde pense que la biennale « met dos à dos l’individualisme occidental et le collectivisme », nous avons eu quelque difficulté à percevoir cette ligne subversive, faute de saisir le contenu des cartels ; mais chacun a trouvé dans les œuvres de ces artistes formés le plus souvent dans des écoles occidentales des points de repère, que ce soit l’usage expressionniste de la gravure (Zhao Yannian), la présentation des travaux ethnographiques, (photographies et manuscrits) des Crooks (couple d’ethnologues en Chine à partir de 1947), l’expérience écologique (qui pour l’occasion n’avait pas encore donné les résultats escomptés) de Trevor Yeung, ou encore la juxtaposition des matériaux sonores et visuels utilisés par Robbie Williams.

Comme au musée de Shanghai, nous avons fait un voyage à travers notre propre histoire de l’art comme pourraient en témoigner le travail de Tang Chang rappelant le sens du geste et l’abstraction lyrique de Hartung ou Ubac, ou celui de Sun Xun, héritier de la figuration narrative. A moins que les artistes occidentaux ne se soient nourris à des sources orientales ? Peut-être l’attention portée dans ces institutions à la formation du public et à la pédagogie permet-elle aux chinois de construire leur propre grille de références.

Quelques pièces estampillées Biennale étaient réparties en d’autres lieux de la ville, comme ces nuages rouges suspendus dans les espaces du centre commercial Kerry ; elles rejoignaient des œuvres installées dans l’espace public depuis plus longtemps comme les sculptures de Dali, Arman ou Richard Texier.

Ces impressions, on pouvait les retrouver dans les musées et galeries qui foisonnent à Shanghai dans des lieux époustouflants par les dimensions et l’installation ; les Ailes du désir ont ainsi visité le Rockbundartmuseum, un vaste espace en plein centre-ville ouvert par un couple de collectionneurs qui témoigne de l’ouverture aux artistes du monde entier : le musée présente une superbe exposition de Mark Bradford, et l’artiste a été invité en résidence pour créer de très grandes pièces en fonction de l’espace. Certains ont aussi visité le Red town, qui réunit un certain nombre de sculptures en plein air autour de galeries et d’un musée de sculptures (installé lui aussi dans une friche industrielle) ; d’autres se sont promenés dans les galeries de Moganshanlu, le M50, tout un quartier d’ateliers d’artistes et de galeries.

Enfin nous avons été accueillis par Hai-Meng et Emmanuelle à la galerie Magda Danysz, également installée dans un ancien hangar d’un quartier en mouvement, un bel espace adapté à la diversité des propositions de la galerie ; nous avions découvert des photographes chinois remarquables à la galerie parisienne de Magda en novembre 2014, à Shanghai la galerie présentait huit artistes internationaux dont un seul chinois, témoignage là encore de l’ouverture au monde du milieu de l’art en Chine.

 
Nos amateurs ailés ont été épatés par le travail de cet artiste, Li Hongbo, réalisant des sculptures en papier se déployant entièrement sous les doigts experts de Hai-Meng ! Pour cette exposition, l’accent a été mis sur le street art et les plus grands artistes de la rue étaient représentés, de JR à Futura en passant par Ludo et YZ. Merci à Hai-Meng, directrice de la galerie de Shanghai, et à Emmanuelle de nous avoir permis cette visite et apporté de bien utiles éclaircissements sur la vie artistique actuelle en Chine !

C’est peut-être une étonnante technicité qui caractérise les artistes chinois d’aujourd’hui comme les calligraphes d’hier : maitrise du papier chez le sculpteur de la galerie Magda Danysz, de la vidéo pour nombre d’artistes de la Biennale… qui rejoint peut-être aussi la maîtrise des technologies comme ces images vidéo étonnantes dans le métro de Shanghai, défilant parallèlement au train dans les tunnels ! Les Chinois n’ont pas fini de nous étonner…

*Chine, le nouvel empire, documentaire de Jean-Michel CARRE, 2013